« Les faux aliments ont colonisé jusqu’à 50% de nos supermarchés »
Dans un livre passionnant, le docteur Anthony Fardet met en garde contre les « aliments ultra-transformés », qui font des ravages sur notre santé. Entretien ultra-fouillé.
Par Anne Crignon
Publié le 30 décembre 2017 à 11h04
Ingénieur agronome, spécialiste de la science des aliments et de la nutrition, Anthony Fardet, qui se dit «chercheur dans l’âme», estime que la Recherche publique doit être «au service de l’humain»: «Après tout, je suis payé par les impôts des Français, il est normal qu’ils aient un retour sur investissement», écrit-il en préambule de l’ouvrage brillant qu’il publie aux éditions Thierry Souccar. Dans «Halte aux aliments ultra-transformés», il démontre que les produits industriels déversés depuis les années 1980 dans les petites et grandes surfaces sont responsables des épidémies contemporaines comme le diabète ou l’obésité. Et il explique très clairement pourquoi.
Depuis quelque temps, ce scientifique était gêné par l’idée qu’en dépit de 150 ans de sciences en alimentation, les Occidentaux sont de plus en plus malades et leur espérance de vie en bonne santé de plus en plus basse. On vit plus vieux, mais moins bien. Vingt-et-un ans de santé dégradée, puis ultra-dégradée: c’est le destin désormais classique du Français passé les 60 ans. Est-ce une fatalité? Non. Alors il a écrit un livre pour le dire. Un grand livre sur la nutrition. Entretien.
BibliObs. L’apport majeur de vos recherches est de montrer l’effet dévastateur sur la santé des produits «ultra-transformés». Qu’est-ce qu’un produit ultra-transformé?
Anthony Fardet. Le concept scientifique de «produit ultra-transformé» est récent. Il a été défini en 2009 par Carlos Monteiro, chercheur en épidémiologie pour la nutrition et la santé à l’Université de Sao Paulo. Face à la montée croissante des «épidémies» d’obésité et de diabète de type 2, il était important de distinguer, au sein des aliments transformés, les produits ultra-transformés, lesquels marquent le passage des «vrais» aux «faux» aliments. Tous les produits transformés ne sont pas délétères pour la santé, loin de là. Mais faire le bon diagnostic, c’est-à-dire distinguer le transformé de l’ultra-transformé, est essentiel: cela permet d’apporter le bon remède. Un produit ultra-transformé – et non un «aliment» car ce n’en est plus vraiment un – se distingue tout d’abord par une longue liste d’ingrédients et additifs utilisés essentiellement par les industriels: au-delà de quatre-cinq de ces composés la probabilité d’être en présence d’un produit ultra-transformé est très forte.
Ce produit est artificiel. La part d’aliments naturels est donc très faible; vous ne trouverez pas dans nos champs de cultures de barres chocolatées. Il est régulièrement enrichi en gras, sucre et sel. Son emballage est souvent coloré, très attractif pour favoriser l’acte d’achat. En ce qui concerne les aliments pour enfants, le packaging est habilement pensé pour les attirer vers ces produits, avec des personnages de Walt Disney ou des super héros du moment… Vous observerez aussi que souvent, sur les emballages, on trouve des «informations nutritionnelles», enfin soit disant, du type: «enrichi en…», «sources de…», «Bon pour…». Cela laisse croire qu’un aliment est bon pour votre santé alors qu’on cherche juste à rétablir une valeur nutritionnelle pour un produit qui l’a perdue lors de son ultra-transformation. On peut parler sans exagération de «faux amis» qui trompent le consommateur.
Que font ces produits lorsqu’ils sont consommés avec excès, voire lorsqu’ils composent la base de notre alimentation?
Ils créent le lit pour l’obésité et le diabète, pas moins. Ils sont, pour la plupart, hyperglycémiants, c’est-à-dire qu’ils favorisent l’élévation rapide du glucose dans le sang. Une consommation régulière de produits ultra-transformés, source de sucres «rapides» (souvent ajoutés) favorise le gain de poids et l’insulino-résistance qui est l’étape prédiabétique. Puis vient le diabète de type 2: l’ajout de sucre, sel et gras crée une forme de dépendance à ces produits car ces trois composés donnent envie d’y revenir. Or le diabète de type 2 et l’obésité sont les portes d’entrée vers des maladies plus graves comme certains cancers (un sur trois serait lié à une mauvaise alimentation), les maladies chroniques hépatiques (stéatose, stéato-hépatites) et les maladies cardiovasculaires (coronariennes et AVC). Ces produits sont aussi pauvres en fibres et en micro- et phyto-nutriments protecteurs, c’est-à-dire en antioxydants, vitamines, minéraux, oligo-éléments, polyphénols, caroténoïdes. On parle alors de calories «vides».
Mais pourquoi ces «produits» (on ne parle pas d’«aliments» donc) sont-ils peu rassasiants?
Pour deux raisons principales. D’abord, ils sont riches en sucres et gras, et plus pauvres en fibres et protéines; or les fibres et les protéines sont les deux composés les plus rassasiants. Ensuite, de par leurs textures recombinées et artificielles, souvent molles, liquides, semi-solides et facilement friables – de types sodas, desserts lactés, yaourts à boire, céréales du petit-déjeuner, snacks croustillants, etc. – ces produits nous font moins mastiquer et les textures liquides et semi-solides entrent moins longtemps en contact avec la muqueuse digestive: or ce sont là deux paramètres qui stimulent l’hormone de satiété, c’est-à-dire la leptine.
« Les produits ultra-transformés sont le fruit de l’approche réductionniste »
Dans votre livre, vous mettez à disposition du grand public des notions précieuses, de nature à favoriser la réflexion sur le lien entre l’alimentation et la santé. Tout d’abord, il y a celle d’approche «holistique», bien connue en médecine chinoise traditionnelle, parfois utilisée en médecine occidentale quoique cela reste marginal, et aujourd’hui par vous pour penser l’alimentation. Qu’est-ce que «l’holisme»?
Holisme [du grec ancien hólos signifiant «entier»] se définit globalement par la pensée qui tend à expliquer un phénomène comme étant un ensemble indivisible, la simple somme de ses parties ne suffisant pas à le définir. Dans la pensée holistique, le tout est donc supérieur à la somme des parties, ou dit autrement 2 > 1+1. On retrouve ce principe dans l’adage «l’union fait la force» qui indique que la force d’un groupe en cohésion est supérieure à la somme de la force de chaque individu pris isolément. En alimentation, cela signifie donc qu’il faut percevoir l’aliment comme un tout et non comme une somme de nutriments dissociables les uns des autres. Or c’est que l’on fait depuis cent cinquante ans que la recherche en nutrition a commencé.
Et vous nous apprenez que cette façon d’aborder la recherche en nutrition porte un nom: le réductionnisme.
Oui. On parle de «pensée réductionniste» par opposition à la «pensée holistique» justement. Les produits ultra-transformés sont le fruit de l’approche réductionniste qui considère que puisque l’aliment n’est qu’une somme de composés, alors on peut bien le fractionner en une multitude de composés puis les recombiner. Or il n’en est rien: les calories et les nutriments ne sont pas interchangeables d’un aliment à l’autre en raison du principe d’holisme. Une calorie d’un aliment A n’est absolument pas égale à une calorie d’un aliment B.
Ainsi consommer une carotte entière ou le même mélange recomposé des nutriments de la carotte n’a rien à voir, notamment pour notre physiologie. Ou bien consommer du fructose issu de sirop de fructose (obtenu par hydrolyse de l’amidon de maïs) dans un produit ultra-transformé n’a pas du tout le même effet sur la santé que le fructose naturel des fruits. Selon une vision holistique le fructose dans les fruits possède une matrice et donc un environnement de fibres, minéraux et vitamines; et il est aussi libéré plus lentement dans l’organisme car «piégé» dans une matrice fibreuse.
La «matrice»: voici encore une notion que vous explicitez dans un chapitre passionnant et à laquelle vous consacrez d’ailleurs un article ce mois-ci dans l’excellente revue «Pratiques en nutrition» (1). Comment la définir simplement pour les néophytes que nous sommes?
Pour faire simple la matrice de l’aliment, c’est le résultat des interactions entre les différents nutriments de l’aliment. Une matrice peut être solide (fromages), visqueuse (yaourts), liquide (laits), plus ou moins dense, poreuse, de différentes couleurs (rouge pour les tomates, orange pour les carottes, etc.). Cette matrice est essentielle car elle influe sur le sentiment de satiété via notamment le temps de mastication, la vitesse de libération des nutriments dans votre organisme (par exemple sucres «lents» versus «rapides»), la sécrétion des hormones, la vitesse de transit digestif. En résumé, l’effet «matrice» des aliments correspond à l’influence de la matrice alimentaire sur les paramètres physiologiques et métaboliques de l’homme.
Je vais le formuler autrement: deux aliments de même composition mais avec des matrices différentes n’auront pas le même effet sur la santé. Par exemple, consommer une amande entière ou en poudre n’a pas le même effet sur votre métabolisme bien que les deux produits aient exactement la même composition.
Depuis quand connaît-on «l’effet matrice»?
Le sujet suscite un intérêt croissant depuis les années 2000 mais la première étude à l’avoir mis en avant est celle de Gregory Haber, docteur en médecine à Bristol, et de ses collaborateurs en 1977. Cette équipe a démontré qu’une pomme entière est moins hyperglycémiante (élève moins rapidement le niveau de glucose dans le sang) et hyper-insulinémiante (élève moins rapidement le niveau d’insuline dans le sang) qu’une compote, et qu’une compote est moins hyperglycémiante et hyper-insulinémiante qu’un jus de pomme. Le degré de déstructuration de la «matrice pomme» va augmentant si on passe de la pomme entière au jus. Plus tard, quelques autres études ont été menées sur cet effet «matrice» avec des résultats qui vont dans le même sens que l’étude d’Haber.
Dans la même logique, l’hyper-transformation du blé expliquerait-t-elle aussi l’allergie au gluten?
Je parlerais plutôt d’«hypersensibilité au gluten» dont la prévalence s’est accrue ces dernières années, et qui est différente de la maladie céliaque et de l’allergie au blé. Mais je pense que oui. Dans un article (2), j’ai en effet défendu l’hypothèse que cette nouvelle forme « d’intolérance» n’était pas à chercher dans les protéines du blé en elles-mêmes mais dans l’hyper-transformation du blé, et donc des protéines de gluten. Il semble exister un parallèle entre l’utilisation de plus en plus massive du gluten dans de nombreux plats préparés (le gluten est notamment utilisé comme ingrédient technologique de texture) et l’augmentation de cette hypersensibilité.
De plus, il se pourrait, même si cela reste à démontrer, que les traitements industriels drastiques appliqués aux céréales aient pu retarder ou dégrader la digestibilité de ce gluten, déplaçant sa digestion du duodénum, partie initiale de l’intestin grêle, vers l’iléon, la partie terminale (3). Associé à une alimentation pauvre en micronutriments protecteurs (antioxydants, anti-inflammatoires…), ce cocktail délétère peut sans doute contribuer à cette hypersensibilité. S’ajoute à cela, l’effet « nocébo » qui consiste, suite à la création d’une angoisse ou d’une peur artificielle, à se sentir mieux quand on retire le produit de notre alimentation : c’est alors purement psychologique et non physiologique.
« Juste un conseil : lisez bien la liste d’ingrédients et d’additifs »
Au-delà de sa dimension scientifique, l’approche holistique semble relever aussi du bon sens. Pourquoi est-elle ignorée, pour ne pas dire dénigrée, dans les milieux scientifiques?
C’est une question difficile. Je pense que dans nos sociétés occidentales, nous avons été élevés dans la pensée réductionniste, laquelle imprègne la recherche en nutrition depuis cent cinquante ans. La pensée réductionniste, notamment systématisée par le philosophe René Descartes dans «le Discours de la méthode», est typiquement occidentale. Ainsi, dans les sciences, l’application du réductionnisme tente l’explication des systèmes entiers en termes de parties isolées. Cette culture est enseignée sur les bancs des écoles, des grandes écoles d’ingénieurs, des écoles de diététique et des universités (médecine et sciences de la vie), notamment dans les cursus agro-alimentaires. Personne n’y échappe; moi-même n’y ai pas échappé.
Si la pensée holistique est aujourd’hui si peu reconnue dans les milieux académiques occidentaux (mais cela commence à évoluer dans le bon sens, reconnaissons-le), c’est parce qu’elle est perçue comme pas suffisamment scientifique. Avoir une approche globale ou holistique renvoie à des approches ou philosophies souvent orientales que les chercheurs académiques tendent à rejeter. Donc si vous prônez des approches plus transversales, holistiques et globales, pour certains chercheurs vous n’êtes plus dans la science réelle mais dans des mouvements «orientaux» quelque peu ésotériques ou des approches non scientifiques. Pour ces chercheurs une vraie recherche est réductionniste, très spécialisée, et doit décortiquer les mécanismes dans une certaine forme de verticalité scientifique.
Or cela est faux: on peut tout aussi bien être chercheur transversal et holistique que chercheur vertical et réductionniste. Il faut les deux comme dans le maillage d’un tissu. S’il n’y a que des fils verticaux et peu de fils horizontaux, le tissu est lâche et ne tient pas. En ce qui me concerne, je suis un chercheur holistique, mais j’utilise souvent les travaux de chercheurs réductionnistes pour faire avancer ma réflexion. Les deux sont nécessaires et indissociables.
Revenons au fractionnement par l’industrie agroalimentaire des aliments naturels. Cela porte un nom, racontez-vous.
On appelle ça le «cracking». Grâce à différents procédés chimiques ou mécaniques, le craquage casse un aliment (lait, œufs, céréales, légumineuse…) en plusieurs éléments ayant une valeur commerciale importante. La somme de ces éléments rapporte plus que l’aliment entier. Les aliments naturels «craqués» et transformés en une multitude d’ingrédients bon marché participent de cette vision occidentale réductionniste.
Est-ce à cause du cracking que tout est «enrichi en» ceci ou cela?
Il faut bien comprendre pourquoi on enrichit. La plupart du temps, c’est pour améliorer un aliment qui a perdu de sa qualité nutritionnelle via l’ultra-transformation, comme pour les céréales du petit-déjeuner pour enfants enrichis en vitamines et/ou minéraux, les margarines enrichies en oméga 3 ou phytostérols, etc. Ces aliments participent d’une vision erronée qui cherche à corriger une alimentation déséquilibrée via des produits toujours ultra-transformés et «enrichis en» pour compenser. Idem pour les compléments alimentaires utilisés pour corriger le déséquilibre induit par l’ingestion de produits ultra-transformés et sources de calories «vides». Bien sûr, ils peuvent être utilisés à bon escient comme des produits de niche dans certaines situations ou prescrits à des populations à risque: pour des gens âgés ou des femmes enceintes ou pour corriger à l’occasion une déficience ponctuelle significative.
Concrètement, comment reconnaître un aliment ultra-transformé en supermarché?
Juste un conseil: lisez bien la liste d’ingrédients et d’additifs. Plus elle est longue (c’est-à-dire globalement supérieure à quatre ingrédients/additifs mais cela reste indicatif) et moins vous connaissez les noms (car leur utilisation est exclusivement industrielle), plus vous avez de chance d’être en présence d’un produit ultra-transformé.
Vous expliquez que le jus d’orange à base de concentré est un aliment ultra-transformé. En quoi?
Un jus d’orange peut avoir subi divers niveaux de transformation. Un jus d’orange 100% fruits pressés frais est encore assez peu transformé même si l’effet «matrice» est un peu perdu. Un jus reconstitué à base de concentré avec du sucre ajouté est transformé. Un jus d’orange à base d’arômes artificielles, d’additifs et sucre ajoutés (comme dans certaines boissons sucrées ou sodas) est ultra-transformé.
Que dire du Chocapic donné le matin aux enfants?
Malheureusement, les céréales du petit-déjeuner pour enfants sont une véritable catastrophe nutritionnelle. Près de 100% de ces produits sont ultra-transformés. Ce ne sont plus des céréales mais des bonbons que l’on donne à nos enfants. Certaines «céréales» contiennent jusqu’à plus de 28% de sucres comme dans Miel Pops (soit 88% de glucides en tout), et surtout des sucres «rapides». Ainsi «nourris» de sucres rapides et peu rassasiants, les enfants auront la fringale à 11h. Il reste à espérer qu’ils ne se jettent pas alors à nouveau vers d’autres produits ultra-transformés. Le Chocapic, c’est 37% de sucres environ et 76% de glucides, essentiellement des sucres «rapides». A exclure, donc.
Et les yaourts aux fruits?
Tout dépend de la liste d’ingrédients et/ou d’additifs. Si vous le faites vous-même en mélangeant des vrais fruits ou de la confiture maison avec du yaourt nature, aucun problème. Mais quand vous voyez la liste d’ingrédients et additifs dans des yaourts aux fruits industriels comme «Panier de Yoplait», il s’agit de produits ultra-transformés. Liste des ingrédients: Yaourt (lait écrémé à base de poudre de lait – lait écrémé – crème – poudre de lait écrémé et/ou protéine de lait – ferment lactiques) – fruits: poire 11% ou pêche 11,2% – sucre 8,3% – sirop de glucose-fructose: 2,3% – amidon transformé de maïs – arômes – épaississants: gomme de guar, pectine – colorants : extrait de paprika, lutéine, curcumine. Additifs: E412 – Gomme de guar. E440i – Pectine. E160c – Extrait de paprika. E161b – Lutéine. E100 – Curcumine. Notre organisme n’est pas habitué à de telles quantités de sucres simples. Nous ne sommes pas programmés pour cela. Le corps finit par réagir par du diabète. A éviter ou à consommer exceptionnellement, donc.
« On taxe les sodas, mais il faudrait taxer la plupart des produits ultra-transformés »
Comment se fait-il que les industriels ne soient pas attaqués pour publicité mensongère et incitation à la malbouffe?
Question difficile aussi. Les industries agro-alimentaires qui emploient de nombreuses personnes en France sont l’un de nos fleurons économiques à l’étranger. On ne veut donc pas s’attaquer à elles de front, et on préfère émettre des recommandations alimentaires qui ne les remettent pas trop en cause. De plus, la malbouffe a colonisé jusqu’à 50% des rayons de nos supermarchés: il est peu aisé de s’y attaquer. On taxe les sodas, mais il faudrait taxer la plupart des produits ultra-transformés. La tâche est rude pour un politique. S’attaquer au tabac et à l’alcool est sans doute plus «facile», les cibles étant plus aisément identifiables.
Jusqu’à aujourd’hui en effet, on n’avait pas identifié et défini scientifiquement les «coupables». On parlait bien d’«aliments transformés», mais comme beaucoup d’aliments transformés ne posent pas de problème pour la santé, cela restait confus. Il fallait donc définir le concept de produit «ultra-transformé», avec le passage d’une technologie au service de l’aliment aux aliments au service de la technologie: la cible étant maintenant bien identifiée et bien définie scientifiquement, peut-être les choses vont-elles commencer à changer…
Vous proposez d’ailleurs d’appeler un chat un chat et d’adopter cette nouvelle dénomination: «Maladies chroniques d’industrialisation».
Oui car les scientifiques utilisent plutôt le terme «maladies de civilisation», ce qui n’a pas de sens. De quelles civilisations parle-t-on? On ne sait pas. Les maladies chroniques ne sont pas dues à la civilisation mais bien à l’hyper-industrialisation de l’alimentation. Les renommer ainsi, c’est rendre service au grand public en mettant l’accent sur les vraies causes.
A propos de chat: nos animaux domestiques de plus en plus souvent terminent leur vie douloureusement, obèses ou/et cancéreux. Les boîtes et les croquettes ne seraient-ils pas des aliments ultra-transformés?
C’est une «vraie» question de fond. En effet, il faudrait aussi s’intéresser à la malbouffe de nos «amis» préférés. Je ne me suis pas penché sur la question pour être honnête mais, oui, beaucoup de croquettes et de boîtes sont très probablement des produits ultra-transformés. Les chats et les chiens étant des mammifères comme nous, il faudrait qu’ils consomment aussi de vrais aliments.
« Tout aliment consommé en excès devient délétère pour la santé »
«L’Enquête Campbell» (4), du nom de ce chercheur américain de renommée mondiale, est la plus longue enquête jamais menée sur les relations entre l’alimentation et la santé. Elle tend à démontrer que l’ingestion quotidienne de protéines animales, viandes ou laitages, est comme un engrais qui favorise le cancer et les maladies chroniques. Vous parlez de «maladies chroniques d’industrialisation», lui parle de «maladie de la prospérité»: l’état d’esprit est proche mais son livre est controversé. Comment vous situez-vous par rapport à Colin Campbell?
Il est tout à fait possible que ses études soient critiquables, comme le sont d’ailleurs aujourd’hui les études qui ont été à la base de la diabolisation du cholestérol et des acides gras saturés. On sait aujourd’hui que les choses ne sont pas si simples. Je ne suis pas anti-protéines animales car la science ne va pas dans ce sens. Mais comme tout aliment consommé en excès et ultra-transformé devient délétère pour la santé, c’est donc vrai aussi pour les produits animaux et végétaux.
Là où Colin Campbell ne se trompe pas, c’est sur la mise en avant du régime «Whole Plant Based Diet» (WPBD), à base de produits végétaux peu transformés. Toute la science va dans ce sens, à savoir qu’une alimentation riche en produits végétaux peu transformés et variés est protectrice: on peut le voir avec les régimes Okinawa et Méditerranéen. Avant l’apparition du concept de «produit ultra-transformé», Campbell avait déjà pressenti que le degré de transformation était un paradigme capital.
Son travail a été controversé, mais il est vrai que lorsque des résultats scientifiques vont à l’encontre d’intérêts «puissants», la controverse est systématique. C’est un «classique». Il suffit de regarder en arrière avec les industries du tabac et de l’alcool, et aujourd’hui avec celle des produits ultra-transformés justement. Certains industriels seraient bien inspirés de critiquer leurs propres études d’intervention court-termistes et réductionnistes, celles-là même qu’ils ont utilisées pour obtenir l’autorisation pour la commercialisation de certains additifs, alors qu’il faudrait mener des études sur le long terme, prendre en compte l’effet «cocktail», etc. Mais là, curieusement, peu de gens se sont élevés pour remettre en question ces travaux. C’est heureusement en train de changer.
Pourriez-vous dire, comme le fait l’américain Ben Goldacre au sujet de l’industrie pharmaceutique, que le financement privé influence les chercheurs et entraîne la production d’une «bad science»?
C’est une question difficile: la recherche publique a toujours eu des financements privés, ce qui n’en fait pas pour autant de la mauvaise science. Sauf qu’aujourd’hui le problème est la diminution des financements publics, ce qui ne permet pas d’explorer suffisamment des «chemins risqués ou vierges», comme je l’ai fait d’ailleurs. Les financements privés exigent généralement de l’innovation derrière: il faut que «ça marche». On sait qu’il existe un biais en science appelé le «biais fondamental», à savoir que plus de résultats «positifs» que «négatifs» sont publiés; ce qui laisse à penser qu’une entreprise pourrait être réticente à publier des résultats qui sont défavorables à son produit alimentaire.
Aujourd’hui on favorise la recherche réductionniste alors qu’il faudrait favoriser des recherches plus holistiques au profit de tous. Mais mener des recherches holistiques sur les bienfaits d’un régime à base de produits végétaux peu transformés rapporte moins d’argent, c’est clair. On préfère travailler sur les effets de telle ou telle molécule avec l’idée du produit qu’on pourra développer ensuite.
Quelle est la part du financement privé dans la recherche en France sur le lien entre alimentation et santé?
Je ne sais pas exactement, mais il est certain qu’il est trop important et qu’il influence la nature des recherches menées. Colin Campbell, pour revenir à lui, a bien analysé la situation aux Etats-Unis, pire que chez nous: le privé utilise des résultats scientifiques partiels et réductionnistes pour faire le maximum de profit. Par exemple, les phytostérols diminuent le cholestérol donc on va vendre des margarines enrichies en phytostérols en quantité en faisant passer le message que c’est bon pour votre santé, alors que ce n’est pas le cas.
« Le potentiel-santé des aliments n’est plus la préoccupation majeure »
Comment en sommes-nous arrivés là?
Le passage des aliments transformés aux produits ultra-transformés, le passage des «vrais» aux «faux» aliments, tout cela s’est produit au cours des années 1980. La technologie était jusqu’alors au service des aliments pour mieux les conserver et garantir la sécurité alimentaire – fermentations, conserves, confitures, etc. Elle s’est dévoyée. L’aliment a été mis au service de la technologie pour des gains de temps et d’argent. Le potentiel-santé des aliments n’est pas la préoccupation majeure; il s’agit plutôt de fournir à des prix toujours plus bas des aliments très sûr sur le plan sanitaire et très «bons» au goût, d’où les ajouts massifs de sucres, sel et gras.
Cette transition récente est concomitante avec l’explosion des maladies d’industrialisation. Jamais, dans le passé, notre organisme n’avait ingurgité autant d’ingrédients et d’additifs industriels et de matrices alimentaires artificielles. Mon hypothèse est qu’il n’est pas étonnant que notre organisme réagisse par des maladies chroniques, des intolérances ou des hypersensibilités: il se défend. A avoir détruit l’harmonie de l’aliment, on détruit en quelque sorte l’harmonie métabolique, donc notre santé.
Colin Campbell et vous êtes d’accord sur une chose: le diabète, en principe inguérissable, est réversible par un changement d’habitudes alimentaires. De quelle manière? Ne craignez-vous pas de susciter de faux espoirs chez des malades?
Oui, quelques études menées dans les années 1980 ont montré qu’en revenant à un régime riche en produits végétaux peu transformés on pouvait revenir «en arrière», soit totalement, soit partiellement. La question est de savoir à partir de quel stade il est possible d’inverser le diabète. Doit-il être pris très tôt? Je n’ai pas la réponse. Il faudrait mener des études d’intervention de long terme chez des diabétiques à différents stades pour obtenir une évidence scientifique plus solide. Cependant, au vu des résultats obtenus avec certains malades, il semble possible de «revenir en arrière» – avant la prise d’insuline – en changeant son alimentation et en reprenant une activité physique régulière.
Le chercheur brésilien que vous évoquez à plusieurs reprise dans votre livre, Carlos Monteiro, spécialiste d’épidémiologie et professeur de nutrition à l’université de Sao Paulo, est l’inventeur d’une classification alimentaire, la NOVA, basée sur le degré de transformation des aliments. Où en est-il?
La classification internationale NOVA distingue en effet quatre groupes technologiques. Le Groupe 1, ce sont les aliments bruts ou peu transformés: les parties comestibles des végétaux (graines, fruits, feuilles, tiges, racines) ou des animaux (muscles, abats, œufs, lait), les champignons, les algues, l’eau, les fruits secs, etc. Les aliments peu transformés sont des aliments naturels soumis à un ou des traitements parfois, mais qui n’en modifient pas pour autant substantiellement les propriétés nutritionnelles.
Le groupe 2 ce sont les ingrédients culinaires, extraits du Groupe 1 par des transformations physiques et chimiques, tels que le pressage pour l’huile d’olive par exemple, le raffinage, la meunerie, et le broyage, ou des ingrédients provenant directement de la nature comme le sel.
Dans le Groupe 3, on recense les aliments transformés, mais dont la transformation est relativement simple, obtenue essentiellement avec l’ajout de sel, de sucre ou une autre substance d’utilisation culinaire du Groupe 2 comme l’huile ou le vinaigre. La plupart des aliments transformés sont constitués d’un ou deux ingrédients. Les procédés incluent des méthodes de conservation et de cuisson variées, et, dans le cas du pain et du fromage, des fermentations non alcooliques. L’objectif principal de la fabrication des aliments du Groupe 3 est d’augmenter la durée de vie des aliments du Groupe 1, ou de modifier ou d’améliorer leurs qualités sensorielles. Les aliments transformés peuvent contenir des additifs utilisés pour conserver leurs propriétés originales ou pour résister à la contamination microbienne. Les aliments des groupes 1 à 3 devraient constituer la base de notre alimentation.
Le Groupe 4 réunit les aliments ultra-transformés. Vous l’aurez compris, ce sont des inventions industrielles réalisées avec cinq ingrédients ou plus, souvent bien plus. Parmi les ingrédients que l’on ne trouve que dans le groupe 4, il y a des substances dont le but est de masquer les qualités sensorielles indésirables des produits finaux. Le Groupe 4 inclue les colorants, les stabilisants de couleurs, les arômes, les exhausteurs de flaveurs, les édulcorants et les aides technologiques telles que la carbonatation, les épaississants, les agents de charge, les anti-moussants, les agents antiagglomérants, les agents de glaçage, les émulsifiants, les séquestrant et les agents humectant. Les aliments du Groupe 4 doivent vraiment être consommés avec modération – pas plus de 15% de nos apports énergétiques quotidiens!
La classification NOVA a le grand mérite d’avoir ouvert le débat sur l’implication du degré de transformation des aliments dans leur potentiel-santé, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elle est controversée bien sûr, ce qui était attendu. Mettre en avant le degré de transformation, c’est mettre en cause les industries agro-alimentaires et donc des intérêts économiques gigantesques.
« La classification NOVA est reconnue par les décideurs politiques »
Si ce n’est par l’industrie agroalimentaire, par qui la classification NOVA est-elle reconnue?
Par les décideurs politiques dans les rapports de la FAO et de la Pan American Health Organization. Elle est validée comme un outil pour la recherche en nutrition et en santé publique. D’ailleurs, depuis 2010, des études scientifiques ont été régulièrement publiées sur la base de la classification NOVA. Elle est à la base des principales recommandations du guide national brésilien pour l’alimentation et la nutrition.
Au Brésil encore, elle a été utilisée pour évaluer, entre autre, l’association entre la consommation de produits ultra-transformés et l’obésité. Aux États-Unis, elle a servi à mesurer l’impact des produits ultra-transformés sur la consommation de sucre ajouté. Au Royaume-Uni, on a pu estimer, grâce à elle, la réduction potentielle du risque de maladies cardio-vasculaires dès lors que l’on réduit la consommation de produits ultra-transformés. Elle a aussi été utilisée au Canada, au Chili, en Suède et en Nouvelle-Zélande pour décrire le profil nutritionnel des aliments des supermarchés.
On découvre dans votre livre que le pain blanc, dont on pourrait penser que c’est un aliment simple et traditionnel, n’est pas si formidable. Qu’est-ce qui cloche avec la baguette?
D’abord, c’est du pain blanc, donc issu d’une farine raffinée pauvre en fibres et micronutriments protecteurs. L’amidon du pain blanc est aussi trop vite digéré en glucose dans le tube digestif, générant pour notre organisme des sucres «rapides». Le pain est l’un des aliments de base en France. Il faudrait donc revenir à des pains plus complets, si possible bio et fermentés au levain, sources alors de sucres plus «lents». J’ajoute qu’il faut absolument éviter les pains ultra-transformés blancs vendus sous cellophane en supermarché car ils sont additionnés de divers ingrédients industriels. Ne parlons pas du pain de mie à consommer à l’occasion seulement.
Propos recueillis par Anne Crignon
Halte aux aliments ultra transformés. Mangeons vrai,
par Anthony Fardet, Thierry Souccar éditions,
252 p., 19,90 euros.
(1) « L’effet matrice des aliments », un nouveau concept. Pratiques en Nutrition 2017
(2) Fardet A, Boirie Y. Associations between food and beverage groups and major diet-related chronic diseases: an exhaustive review of pooled/meta-analyses and systematic reviews. Nutr Rev 2014;72:741-62.
(3) Fardet A. Wheat-based foods and non celiac gluten/wheat sensitivity: is drastic processing the main key issue? Med Hypotheses 2015;85:934-9.
« Fake food has colonized up to 50% of our supermarkets »
In a fascinating book, Doctor Anthony Fardet warns against « ultra-processed foods », which wreak havoc on our health. Ultra-thorough interview.
By Anne Crignon
Edited on the 30 decembre, 2017 at 11:00AM
Agricultural engineer, specialist in food and nutrition science, Anthony Fardet, who calls himself a « researcher at heart », believes that public research must be « at the service of humans »: « After all, I am paid by the taxes of the French, it is normal that they have a return on investment ”, he writes in preamble of the brilliant work which he publishes with the editions Thierry Souccar. In « Stop ultra-processed foods », he shows that industrial products dumped since the 1980s in small and large surfaces are responsible for contemporary epidemics such as diabetes and obesity. And he explains very clearly why.
For some time now, this scientist has been embarrassed by the idea that despite 150 years of food and nutrition science, people in the West are getting sicker and their life expectancy in good health ever lower. We live older, but less well. Twenty-one years of degraded health, then ultra-degraded: this is the now classic fate of the Frenchman past the age of 60. Is it inevitable? No. So he wrote a book to say it. A great book on nutrition. Interview.
BibliObs. The major contribution of your research is to show the devastating effect on the health of « ultra-processed » products. What is an ultra-processed product?
Anthony Fardet.
The scientific concept of « ultra-processed product » is recent. It was defined in 2009 by Carlos Monteiro, researcher in epidemiology for nutrition and health at the University of Sao Paulo. Faced with the growing rise of obesity and type 2 diabetes “epidemics”, it was important to distinguish, within processed foods, ultra-processed products, which mark the shift from “real” to “fake” foods. Not all processed products are harmful to health, far from it. But making the correct diagnosis, that is, distinguishing the processed from the ultra-processed, is essential: it allows us to provide the right remedy. An ultra-processed product – and not a “food” because it is no longer really one – is distinguished first of all by a long list of ingredients and additives used mainly by manufacturers: over five of these compounds the probability of being in the presence of an ultra-processed product is very high.
This product is artificial. The share of natural food is therefore very low; you will not find in our fields cultures of chocolate bars. It is regularly enriched with fat, sugar and salt. Its packaging is often colorful, very attractive to encourage the act of buying. Regarding children’s food, the packaging is cleverly designed to attract them to these products, with characters from Walt Disney or super heroes of the moment… You will also observe that often, on the packaging, we find « nutritional information.” Finally supposedly, of the type:“ enriched in… ”,“ sources of… ”,“ Good for… ”. This suggests that a food is good for your health when we are just trying to restore nutritional value to a product that lost it during its ultra-processing. We can speak without exaggeration of « false friends » who deceive the consumer.
What do these products do when consumed in excess, or even when they form the basis of our diet?
They create the bed for obesity and diabetes, no less. They are, for the most part, hyperglycemic, that is, they promote rapid rise in glucose in the blood. Regular consumption of ultra-processed products, a source of « fast » (often added) sugars promotes weight gain and insulin resistance which is the prediabetic stage. Then comes type 2 diabetes: the addition of sugar, salt and fat creates a form of addiction to these products because these three compounds make you want to come back. However, type 2 diabetes and obesity are the gateways to more serious diseases such as certain cancers (one in three would be linked to a poor diet), chronic hepatic diseases (steatosis, steatohepatitis) and cardiovascular diseases (coronary heart disease and stroke). These products are also low in fiber and protective micro- and phyto-nutrients, that is to say in antioxidants, vitamins, minerals, trace elements, polyphenols, carotenoids. We then speak of « empty » calories.
But why are these « products » (we are not talking about « food » therefore) not very satiating?
For two main reasons. First, they are high in sugars and fat, and lower in fiber and protein; yet fiber and protein are the two most satiating compounds. Then, through their recombined and artificial textures, often soft, liquid, semi-solid and easily crumbly – such as sodas, dairy desserts, drinkable yogurts, breakfast cereals, crispy snacks, etc. – these products make us chew less and the liquid and semi-solid textures come into contact with the digestive mucosa for less time: these are two parameters that stimulate the satiety hormone, that is to say leptin.
« Ultra-processed products are the result of the reductionist approach »
In your book, you provide the general public with valuable concepts that will encourage reflection on the link between diet and health. First, there is the « holistic » approach, well known in traditional Chinese medicine, sometimes used in Western medicine although it remains marginal, and today by you to think about food. What is « holism »?
Holism [from the ancient Greek hólos meaning “whole”] is defined globally by the thought which tends to explain a phenomenon as being an indivisible whole, the simple sum of its parts not being sufficient to define it. In holistic thought, the whole is therefore greater than the sum of the parts, or in other words 2> 1 + 1. This principle is found in the adage « in unity is strength » which indicates that the strength of a cohesive group is greater than the sum of the strength of each individual taken in isolation. In food, this therefore means that we must perceive the food as a whole and not as a sum of nutrients that can be dissociated from each other. However, this is what we done since one hundred and fifty years that research in nutrition began.
And you tell us that this approach to nutrition research has a name: reductionism.
Yes. We speak of « reductionist thinking » as opposed to « holistic thinking » precisely. Ultra-processed products are the result of the reductionist approach which considers that since food is only a sum of compounds, then it can be broken down into a multitude of compounds and then recombined. But it is not: calories and nutrients are not interchangeable from one food to another due to the principle of holism. A calorie of food A is absolutely not equal to a calorie of food B.
So consuming a whole carrot or the same recomposed mixture of carrot nutrients has nothing to do with our physiology. Or consuming fructose from fructose syrup (obtained by hydrolysis of corn starch) in an ultra-processed product does not have the same health effect at all as natural fructose in fruit. According to a holistic view, fructose in fruits has a matrix and therefore an environment of fibers, minerals and vitamins; and it is also released more slowly in the body because it is « trapped » in a fibrous matrix.
The « matrix »: here is another notion that you explain in a fascinating chapter and to which you will devote an article this month in the excellent journal « Pratiques en nutrition » (1). How can we define it simply for the neophytes that we are?
To put it simply, the food matrix is the result of interactions between the different nutrients in the food. A matrix can be solid (cheese), viscous (yoghurt), liquid (milk), more or less dense, porous, of different colors (red for tomatoes, orange for carrots, etc.). This matrix is essential because it influences the feeling of satiety via in particular the time of chewing, the rate of release of nutrients in your body (for example “slow” versus “fast” sugars), the secretion of hormones, the speed of digestive transit. In summary, the « matrix » effect of food corresponds to the influence of the food matrix on the physiological and metabolic parameters of humans.
I’ll put it another way: two foods with the same composition but with different matrices will not have the same effect on health. For example, consuming a whole or powdered almond does not have the same effect on your metabolism although the two products have the exact same composition.
How long have we known about the « matrix effect »?
The subject has aroused growing interest since the 2000s, but the first study to highlight it is that of Gregory Haber, doctor of medicine in Bristol, and his collaborators in 1977. This team has shown that a whole apple is less hyperglycemic (raises the level of glucose in the blood less quickly) and hyperinsulinemic (raises the level of insulin in the blood less quickly) than a compote, and a compote is less hyperglycemic and hyperinsulinemic than apple juice. The degree of destructuring of the “apple matrix” will increase if we go from the whole apple to juice. Later, a few more studies were carried out on this « matrix » effect with results consistent with Haber’s study.
Along the same lines, could the ultra-processing of wheat also explain the gluten allergy?
I would rather speak of « non coeliac gluten hypersensitivity » which has increased in prevalence in recent years, and which is different from celiac disease and wheat allergy. But I think so. In an article (2), I indeed defended the hypothesis that this new form of “intolerance” was not to be sought in the proteins of the wheat in themselves but in the hyper-transformation of the wheat, and therefore gluten proteins. There seems to be a parallel between the increasing use of gluten in many ready-made meals (gluten is used in particular as a technological ingredient in texture) and the increase in this hypersensitivity.
In addition, it could be, even if this remains to be demonstrated, that the drastic industrial treatments applied to cereals could have delayed or degraded the digestibility of this gluten, shifting its digestion from the duodenum, the initial part of the small intestine, towards the ileum, the terminal part (3). Combined with a diet poor in protective micronutrients (antioxidants, anti-inflammatories, etc.), this deleterious cocktail can undoubtedly contribute to this hypersensitivity. Added to this is the “nocébo” effect which consists, following the creation of anxiety or artificial fear, in feeling better when we remove the product from our diet: it is then purely psychological and non-physiological.
« Just a word of advice: read the list of ingredients and additives carefully »
Beyond its scientific dimension, the holistic approach also seems to make good sense. Why is it ignored, not to say denigrated, in scientific circles?
This is a difficult question. I think in our western societies we have been brought up in the reductionist thinking that has permeated nutrition research for 150 years. Reductionist thought, notably systematized by the philosopher René Descartes in “the Discourse on Method”, is typically Western. Thus, in science, the application of reductionism attempts to explain whole systems in terms of isolated parts. This culture is taught on the benches of schools, engineering schools, dietetic schools and universities (medicine and life sciences), particularly in agro-food courses. No one escapes it; I myself have not escaped it.
If holistic thinking is so little recognized in Western academic circles today (but it is starting to move in the right direction, let’s face it), it is because it is perceived as not sufficiently scientific. Having a global or holistic approach refers to often oriental approaches or philosophies that academic researchers tend to reject. So if you advocate more transversal, holistic and global approaches, for some researchers you are no longer in real science but in somewhat esoteric « oriental » movements or non-scientific approaches. For these researchers, real research is reductionist, very specialized, and must dissect the mechanisms in a certain form of scientific verticality.
But this is false: one can just as easily be a transversal and holistic researcher as a vertical and reductionist researcher. You need both as in the mesh of a tissue. If there are only vertical threads and few horizontal threads, the fabric is loose and will not hold. As far as I am concerned, I am a holistic researcher, but I often use the work of reductionist researchers to advance my thinking. The two are necessary and inseparable.
Let us return to the fractionation by the agri-food industry of natural foods. It has a name, you tell.
This is called « cracking ». Thanks to various chemical or mechanical processes, cracking breaks a food (milk, eggs, cereals, legumes, etc.) into several elements with significant commercial value. The sum of these elements is more profitable than the whole food. Natural foods « cracked » and processed into a multitude of cheap ingredients are part of this reductionist Western view.
Is it because of cracking that everything is « enriched with » this or that?
We must understand why we enrich. Most of the time, it is to improve a food that has lost its nutritional quality through ultra-processing, such as children’s breakfast cereals fortified with vitamins and/or minerals, margarines fortified with omega 3 or phytosterols, etc. These foods are part of a mistaken view that seeks to correct an unbalanced diet through products that are always ultra-processed and « enriched » to compensate. Ditto for food supplements used to correct the imbalance induced by the ingestion of ultra-processed products and sources of « empty » calories. Of course, they can be put to good use as niche products in certain situations or prescribed to populations at risk: for the elderly or pregnant women or to correct on occasion a significant one-off deficiency.
Concretely, how to recognize an ultra-processed food in the supermarket?
Just a word of advice: read the list of ingredients and additives carefully. The longer it is (that is to say overall greater than five ingredients/additives but this is indicative) and the less you know the names (because their use is exclusively industrial), the more likely you are to be in the presence of an ultra-processed product.
You explain that orange juice from concentrate is an ultra-processed food. In what?
Orange juice can have undergone various levels of processing. A 100% fresh squeezed fruit orange juice is still relatively little processed even if the « matrix » effect is a little lost. A reconstituted juice from concentrate with added sugar is processed. An orange juice made from artificial flavors, additives and added sugar (as in certain sugary drinks or sodas) is ultra-processed.
What can we say about the Chocapic given to children in the morning?
Sadly, children’s breakfast cereals are a nutritional disaster. Almost 100% of these products are ultra-processed. It’s no longer cereals but candy that we give to our children. Some « cereals » contain more than 28% sugars like in Honey Pops (88% carbohydrates in all), and especially « fast » sugars. Thus « fed » with fast and little satiating sugars, children will have a craving at 11am. Hopefully, then, they don’t go back to other ultra-processed products. Chocapic is about 37% sugars and 76% carbohydrates, mainly « fast » sugars. To be excluded, therefore.
What about fruit yogurts?
It all depends on the list of ingredients and/or additives. If you do it yourself by mixing real fruit or homemade jam with plain yogurt, no problem. But when you see the list of ingredients and additives in processed fruit yoghurts like « Basket of Yoplait », they are ultra-processed products. List of ingredients: Yoghurt (skimmed milk made from milk powder – skimmed milk – cream – skimmed milk powder and/or milk protein – lactic ferment) – fruits: pear 11% or peach 11.2% – sugar 8, 3% – glucose-fructose syrup: 2.3% – processed corn starch – flavors – thickeners: guar gum, pectin – colors: paprika extract, lutein, curcumin. Additives: E412 – Guar gum. E440i – Pectin. E160c – Paprika extract. E161b – Lutein. E100 – Curcumin. Our bodies are not used to such amounts of simple sugars. We are not programmed for this. The body eventually reacts with diabetes. To be avoided or consumed exceptionally, therefore.
« We tax sodas, but we should tax most ultra-processed products »
How is it that manufacturers are not attacked for false advertising and incitement to junk food?
Difficult question too. The agro-food industries which employ many people in France are one of our economic flagships abroad. We therefore do not want to tackle them head-on, and we prefer to issue dietary recommendations that do not call them into question too much. In addition, junk food has colonized up to 50% of our supermarket shelves: it is not easy to tackle it. We tax sodas, but we should tax most ultra-processed products. The task is tough for a politician. Dealing with tobacco and alcohol is arguably « easier » as the targets are more easily identified.
Until today, the « culprits » had not been identified and scientifically defined. We used to talk about « processed foods », but since many processed foods are not a health problem, it was confusing. It was therefore necessary to define the concept of an “ultra-processed” product, with the transition from a technology serving food to food serving technology: the target now being well identified and well defined scientifically, perhaps the will things start to change …
You also suggest calling a spade a spade and adopting this new name: « Chronic diseases of industrialization ».
Yes, because scientists use the term « diseases of civilization » instead, which makes no sense. What civilizations are we talking about? We do not know. Chronic diseases are not due to civilization but to the hyper-industrialization of food. To rename them this way is to serve the general public by emphasizing the real causes.
About cats: our pets more and more often end their lives painfully, obese or/and cancerous. Are boxes and croquettes not ultra-processed foods?
This is a « real » question of substance. Indeed, we should also be interested in the junk food of our favorite « friends ». I haven’t looked into it to be honest but, yes, a lot of kibble and cans are most likely ultra-processed products. Since cats and dogs are mammals like us, they should also eat real food.
« Any food consumed in excess becomes deleterious for the health »
The « Campbell Study » (4), named after the world-renowned American researcher, is the longest-ever investigation into the relationship between diet and health. It tends to show that daily ingestion of animal proteins, meats or dairy products, is like a fertilizer that promotes cancer and chronic diseases. You speak of « chronic diseases of industrialization », speaks to him of « disease of prosperity »: the state of mind is near, but his book is controversial. How do you stack up against Colin Campbell?
It is quite possible that his studies are open to criticism, as are today the studies that were the basis of the demonization of cholesterol and saturated fatty acids. We now know that things are not that simple. I am not anti-animal protein because science does not support it. But as any food consumed in excess and ultra-processed becomes deleterious to health, so this is also true for animal and plant products.
Where Colin Campbell is not mistaken, it is in promoting the « Whole Plant Based Diet » (WPBD), based on minimally processed plant products. All the science is in this direction, namely that a diet rich in minimally processed and varied plant products is protective: this can be seen with the Okinawa and Mediterranean diets. Before the concept of the « ultra-processed product » emerged, Campbell had already sensed that the degree of processing was a critical paradigm.
His work has been controversial, but it is true that when scientific findings run counter to « powerful » interests, the controversy is systematic. It’s a « classic ». Just look back to the tobacco and alcohol industries, and now to the ultra-processed products industry. Certain manufacturers would be well advised to criticize their own short-termist and reductionist intervention studies, the very ones they used to obtain authorization for the marketing of certain additives, whereas studies should be carried out on the long term, take into account the “cocktail” effect, etc. But there, curiously, few people rose up to question this work. Fortunately, that is changing.
Could you say, as the American Ben Goldacre does about the pharmaceutical industry, that private funding influences researchers and leads to the production of « bad science »?
This is a difficult question: public research has always had private funding, which does not make it bad science. Except that today the problem is the decrease in public funding, which does not allow enough exploration of « risky or virgin paths », as I have done elsewhere. Private finance generally requires the innovation behind it: it has to « work ». We know that there is a bias in science called the « fundamental bias », namely that more « positive » than « negative » results are published; which suggests that a company might be reluctant to publish results that are unfavorable to their food product.
Today, reductionist research is favored, whereas more holistic research should be favored for the benefit of all. But doing holistic research on the benefits of a diet based on minimally processed plant products pays less money, that’s clear. We prefer to work on the effects of this or that molecule with the idea of the product that we can then develop.
What is the share of private funding in research in France on the link between food and health?
I do not know exactly, but it is certain that it is too important and that it influences the nature of the research being carried out. Colin Campbell, to come back to him, has well analyzed the situation in the United States, worse than with us: the private sector uses partial and reductionist scientific results to make the maximum profit. For example, phytosterols lower cholesterol so we will sell margarines fortified with phytosterols in quantity, sending the message that it is good for your health, when it is not.
« The health potential of food is no longer the major concern »
How did we get there?
The shift from processed foods to ultra-processed products, the shift from “real” to “fake” foods, all of this happened in the 1980s. Until then, technology was at the service of food to better preserve it and guarantee food safety – fermentations, canning, jams, etc. It went astray. The feed has been put at the service of technology to save time and money. The health potential of food is not the primary concern; rather, it is about providing food that is very safe in terms of food security and very « good » in taste, at ever lower prices, hence the massive additions of sugars, salt and fat.
This recent transition is concomitant with the explosion of industrialization diseases. Never in the past has our body ingested so many ingredients and industrial additives and artificial food matrices. My hypothesis is that it is not surprising that our body reacts with chronic diseases, intolerances or hypersensitivity: it defends itself. By destroying the harmony of food, we in a way destroy metabolic harmony, and therefore our health.
You and Colin Campbell agree on one thing: Diabetes, which is usually incurable, is reversible by a change in eating habits. In what way? Are you not afraid of arousing false hopes in sick people?
Yes, a few studies conducted in the 1980s showed that by going back to a diet rich in minimally processed plant products you could go « back », either totally or partially. The question is, at what stage it is possible to reverse diabetes. Should it be taken very early? I do not have the answer. Long-term intervention studies in diabetics at different stages should be conducted to obtain more solid scientific evidence. However, given the results obtained with some patients, it seems possible to « go back » – before taking insulin – by changing your diet and resuming regular physical activity.
The Brazilian researcher that you mention several times in your book, Carlos Monteiro, specialist in epidemiology and professor of nutrition at the University of Sao Paulo, is the inventor of a food classification, the NOVA, based on the degree of food processing. Where is he at?
The international NOVA classification distinguishes between four technological groups. Group 1, these are raw or minimally processed foods: the edible parts of plants (seeds, fruits, leaves, stems, roots) or animals (muscles, offal, eggs, milk), mushrooms, algae, water, dried fruits, etc. Minimally processed foods are natural foods that sometimes undergo one or more treatments, but which do not substantially modify their nutritional properties.
Group 2 are the culinary ingredients, extracted from Group 1 or natural environment by physical and chemical transformations, such as pressing for olive oil for example, refining, milling, and grinding, or ingredients coming directly from nature like salt.
In Group 3, we identify processed foods, but whose processing is relatively simple, obtained mainly with the addition of salt, sugar or another substance of culinary use of Group 2 such as oil or vinegar. Most processed foods have one or two ingredients. The methods include various preservation and cooking methods, and, in the case of bread and cheese, non-alcoholic fermentations. The main purpose of manufacturing Group 3 foods is to increase the shelf life of Group 1 foods, or to modify or improve their sensory qualities. Processed foods may contain additives that are used to retain their original properties or to resist microbial contamination. Foods in groups 1 to 3 should form the basis of our diet.
Group 4 brings together ultra-processed foods. You will understand, these are industrial inventions made with five or more ingredients, often much more. Among the ingredients that are only found in group 4, there are substances whose purpose is to mask the unwanted sensory qualities of the final products. Group 4 includes colors, color stabilizers, flavorings, flavor enhancers, sweeteners and technological aids such as carbonation, thickeners, bulking agents, anti-foaming agents, anti-caking agents, glazing agents, emulsifiers, sequesters and humectants. Foods in Group 4 should really be eaten in moderation – no more than 15% of our daily energy intake!
The NOVA classification has the great merit of having opened the debate on the implication of the degree of transformation of foods in their health potential, which was not the case before. It is controversial of course, which was to be expected. Highlighting the degree of processing is to question the agro-food industries and therefore gigantic economic interests.
« The NOVA classification is recognized by policy makers »
If not by the food industry, by whom is the NOVA classification recognized?
By policy makers in FAO and Pan American Health Organization reports. It is validated as a tool for research in nutrition and public health. Moreover, since 2010, scientific studies have been published regularly based on the NOVA classification. It is the basis of the main recommendations of the Brazilian national guide for food and nutrition.
In Brazil again, it has been used to assess, among other things, the association between the consumption of ultra-processed products and obesity. In the United States, it was used to measure the impact of ultra-processed products on the consumption of added sugar. In the United Kingdom, it has been possible to estimate the potential reduction in the risk of cardiovascular disease when the consumption of ultra-processed products is reduced. It has also been used in Canada, Chile, Sweden and New Zealand to describe the nutritional profile of supermarket foods.
We discover in your book that white bread, which you might think is a simple and traditional food, is not that great. What’s wrong with the wand?
First, it is white bread, therefore made from a refined flour low in fiber and protective micronutrients. The starch in white bread is also digested too quickly into glucose in the digestive tract, generating « fast » sugars for our body. Bread is one of the staple foods in France. It would therefore be necessary to return to more wholegran breads, if possible organic and fermented with sourdough, then sources of “slower” sugars. I would add that you should absolutely avoid ultra-processed white breads sold in cellophane in supermarkets because they contain various industrial ingredients. Let’s not talk about soft/sandwich breads that you should eat only occasionally.
Interview by Anne Crignon
Stop ultra-processed foods ! Eat real.
By Anthony Fardet, Thierry Souccar éditions,
252 p., 19,90 euros.
(1) « L’effet matrice des aliments », un nouveau concept. Pratiques en Nutrition 2017
(2) Fardet A, Boirie Y. Associations between food and beverage groups and major diet-related chronic diseases: an exhaustive review of pooled/meta-analyses and systematic reviews. Nutr Rev 2014;72:741-62.
(3) Fardet A. Wheat-based foods and non celiac gluten/wheat sensitivity: is drastic processing the main key issue? Med Hypotheses 2015;85:934-9.